Zones sous-dotées en médecins : où l'accès aux soins est-il le plus difficile en France ?

Une blouse et un stéthoscope

« Cherche médecin désespérément». Depuis plus d’un an et demi, la petite commune de Touët-sur-Var (Alpes-Maritimes) tente d’attirer un médecin généraliste pour répondre aux besoins de ses habitants. Pour renforcer son appel, le village a même installé une banderole à son entrée, espérant susciter des vocations. Ce cri d’alerte n’est pas isolé : l’accès aux soins devient une préoccupation croissante dans de nombreux territoires, en particulier dans les zones rurales et périurbaines. Malgré les efforts des autorités pour rééquilibrer la présence médicale et encourager de nouvelles installations, certains secteurs continuent d’être classés en « zones sous-dotées ».

Pour les médecins généralistes, se familiariser avec cette réalité et découvrir les dispositifs d’aide à l’installation existants peut être déterminant pour envisager une installation dans ces zones. Dans cet article, nous vous proposons donc un état des lieux détaillé des zones sous-dotées en France, des régions les plus touchées et des raisons de cette pénurie de médecins. Nous vous parlerons également des aides disponibles et des initiatives qui se mettent en place pour améliorer l’accès aux soins dans les zones en difficulté.

Qu’est-ce qu’une zone sous-dotée en médecins généralistes ?

Les zones sous-dotées en médecins généralistes désignent des territoires où le nombre de praticiens est insuffisant pour répondre aux besoins de la population locale. Pour les identifier, les Agences Régionales de Santé (ARS) et le ministère de la Santé utilisent une méthodologie précise, centrée sur l’Indicateur d’Accessibilité Potentielle Localisée (APL). Cet indicateur permet de calculer la densité de médecins en tenant compte non seulement du nombre de praticiens, mais aussi de la demande potentielle de soins dans chaque territoire.

L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL)

L’APL évalue l'accessibilité aux médecins généralistes à partir de plusieurs facteurs :

  • Le nombre de médecins par habitant dans une zone géographique définie.
  • La distance aux services de soins et la capacité des praticiens à absorber une demande locale.
  • La demande en soins des résidents : cet aspect prend en compte la proportion de population âgée et les besoins spécifiques, qui augmentent avec l’âge et les maladies chroniques.

Le calcul de l’APL est actualisé régulièrement pour suivre l’évolution de l’offre de soins et s’assurer que les zones sous-dotées bénéficient d’un soutien constant.

Zones d'Intervention Prioritaire (ZIP)

  • Densité médicale : les ZIP sont caractérisées par une densité médicale inférieure d'environ 30 % à la moyenne nationale de 147 médecins généralistes pour 100 000 habitants.
  • Zones couvertes : les ZIP concernent principalement des zones rurales ou périurbaines, avec des critères spécifiques calculés par l’APL qui identifient les territoires dont l’accessibilité aux soins est insuffisante.

Zones d’action complémentaire (ZAC)

  • Les ZAC sont des zones qui, bien que moins critiques que les ZIP, présentent une densité médicale en légère tension, se situant souvent juste en dessous de la moyenne nationale. Ces zones sont identifiées pour prévenir un risque futur de sous-dotation médicale.

Zone d’action régionale (ZAR)

  • Les ZAR sont des zones identifiées par les ARS, en fonction des besoins spécifiques en matière de santé publique. Contrairement aux deux précédentes, ces zones ne se distinguent pas forcément par une faible densité médicale mais davantage par des besoins de santé particuliers de la population, liés à des spécificités régionales (environnement, population vulnérable, etc.).

Cartographie des zones sous-dotées en France

Les régions les plus touchées par la pénurie de médecins généralistes se situent en grande majorité dans des zones rurales et périurbaines. Selon les données de l’Assurance Maladie et des ARS, plusieurs départements font face à une raréfaction marquée des médecins généralistes, notamment dans le Centre-Val de Loire, les Hauts-de-France, ou encore la Normandie. Ces régions sont qualifiées de zones « blanches » ou « sous-dotées » en matière de services de santé.

Un exemple marquant est la région Centre-Val de Loire, qui enregistre parmi les taux de densité médicale les plus faibles du pays, avec un nombre de médecins généralistes par habitant largement en dessous de la moyenne nationale. Des zones comme le Cher ou l’Eure-et-Loir sont particulièrement concernées, avec des distances aux soins plus élevées et une forte proportion de médecins proches de la retraite.

On peut noter que l'Île-de-France, bien qu’étant une région principalement urbaine, n’est pas épargnée par ce phénomène. En effet, certaines zones franciliennes, notamment en grande couronne et dans des départements comme la Seine-Saint-Denis et la Seine-et-Marne, affichent une faible densité de médecins généralistes. Nous y reviendrons mais cela s'explique également par le vieillissement des praticiens et une faible attractivité de la région pour les jeunes médecins.

La densité médicale, exprimée en nombre de médecins généralistes pour 100 000 habitants, varie donc significativement selon les régions. Selon les données de 2023, la moyenne nationale est de 147 médecins généralistes pour 100 000 habitants.

Région Médecins généralistes pour 100 000 habitants
La Réunion176
Provence-Alpes-Côte d'Azur171
Bretagne167
Nouvelle-Aquitaine165
Corse159
Occitanie157
Auvergne-Rhône-Alpes154
Martinique152
Guadeloupe150
Grand Est144
Pays de la Loire143
Bourgogne-Franche-Comté141
Hauts-de-France138
Normandie134
Île-de-France130
Guyane123
Centre-Val de Loire115
Mayotte49

La distance moyenne que doivent parcourir les habitants pour accéder à un médecin généraliste est aussi un indicateur clé de l'accessibilité aux soins.

Selon une étude de la DREES, 95 % de la population française a accès à des soins de proximité en moins de quinze minutes. Cependant, cette moyenne masque des disparités régionales :

Région Distance moyenne aux soins (minutes)
Île-de-France10
Provence-Alpes-Côte d'Azur12
Auvergne-Rhône-Alpes15
Nouvelle-Aquitaine18
Occitanie17
Hauts-de-France14
Grand Est16
Centre-Val de Loire20
Bourgogne-Franche-Comté19
Normandie15
Bretagne13
Pays de la Loire14
Corse22
Guadeloupe25
Martinique23
Guyane30
La Réunion20

Les causes du déficit en médecins dans certaines zones

Plusieurs facteurs expliquent pourquoi certaines zones sont moins attractives pour les médecins généralistes :

  1. Isolement géographique et difficultés d’accès : les zones rurales et éloignées des grandes agglomérations souffrent souvent d’un manque d’infrastructures et de services, ce qui rend l’exercice médical plus difficile.
  2. Conditions de travail moins favorables : en zone rurale, les médecins généralistes sont souvent confrontés à une charge de travail plus importante en raison du manque de praticiens. L’accès aux services de soutien (laboratoires, hôpitaux) est limité, ce qui complique aussi la pratique au quotidien.
  3. Manque de structures médicales adaptées : l’absence de centres de santé ou de maisons de santé pluridisciplinaires rend l’exercice parfois plus solitaire et peut être un frein à l’installation pour de nombreux jeunes médecins qui privilégient des pratiques en équipe.
  4. Éloignement des structures sociales et familiales : pour certains praticiens, s’installer en zone sous-dotée implique un éloignement des familles ou des structures telles que les crèches les écoles, ce qui complique l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

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L’importance des parcours de soins pour évaluer l’accessibilité réelle

L’identification des déserts médicaux ne repose pas uniquement sur la démographie médicale. Les chercheurs insistent sur l'importance d'une analyse des parcours de soins pour évaluer les difficultés d’accès. Le parcours de soins inclut tous les soins nécessaires pour traiter une pathologie, ainsi que les services connexes (pharmacie, laboratoires, etc.).

Une approche centrée sur le patient permettrait donc de mieux saisir les besoins effectifs. Ainsi, un territoire peut être bien pourvu en médecins, mais reste difficile d’accès pour des raisons logistiques. Cette approche met en évidence que même dans des zones qualifiées de "sous-denses", l’accès n’est pas systématiquement difficile, et qu'à l’inverse, dans des territoires mieux dotés, il peut exister des contraintes d’accessibilité.

Les dispositifs d’aides pour les médecins en zones sous-dotées

Face à ce constat, l’État et les régions mettent en place divers dispositifs pour inciter les médecins à s’installer dans les zones sous-dotées en médecins généralistes. Ces aides peuvent être financières, fiscales, ou pratiques.

Les aides financières

Plusieurs dispositifs existent pour soutenir l’installation des médecins dans ces zones :

  • Exonérations fiscales : Les médecins qui s’installent en Zone de Revitalisation Rurale (ZRR) bénéficient souvent d’exonérations d’impôts sur leurs bénéfices pendant les premières années.
  • Subventions d’installation :
    • CAIM : Contrat d'Aide à l'Installation des Médecins. Destiné aux médecins s’installant en ZIP, ce contrat offre une aide forfaitaire de 50 000 € versée en deux fois : 50 % à l'installation et 50 % après un an. La durée d'engagement est de cinq ans.
    • CRAI : Contrat Régional d'Aide à l'Installation. Pour les installations en ZAC ou en ZAR. En ZAC, le CRAI propose une aide de 30 000 €, également versée en deux fois selon les mêmes modalités que le CAIM. En ZAR, l'aide est de 20 000 €. Là aussi le versement est fait en deux fois et la durée d’engagement est de 5 ans.
  • Garanti de revenus :
    • CDE : Contrat de Début d'Exercice. Pour les médecins qui s’installent en ZIP ou en ZIC, ce contrat assure un revenu mensuel garanti la première année d'exercice.
    • CRMG : Contrat Régional de Médecine Générale. Spécifique aux ZAC, le CRMG garantit un revenu mensuel maximum de 6 900 euros brut pendant la première année, avec une protection sociale en matière de maladie sur toute la durée du contrat.
  • Aide au logement et à l’équipement : Certaines collectivités locales offrent des aides pour faciliter le logement ou pour équiper les cabinets médicaux.

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Autres dispositifs d’accompagnement

  • Contrat d’Engagement de Service Public (CESP) : Ce contrat permet aux étudiants en médecine de percevoir une bourse durant leurs études en échange d’un engagement à exercer dans une zone sous-dotée pendant plusieurs années.
  • Maison de Santé Pluriprofessionnelle (MSP) : Ces structures permettent aux médecins de travailler en équipe avec d’autres professionnels de santé, ce qui rend l’exercice en zone rurale plus attractif et moins isolé.

Ces aides et dispositifs représentent des incitations concrètes pour les médecins, en particulier pour les jeunes diplômés, à choisir une pratique en zone sous-dotée.

Perspectives d’avenir : que font les autorités pour réduire ces zones sous-dotées ?

Pour remédier à cette situation, en plus des aides précédemment citées, les autorités misent sur d’autres initiatives. Parmi elles :

  1. Promotion de la télémédecine : la télémédecine permet de maintenir un lien médical entre les praticiens et les patients dans des zones reculées, facilitant les consultations sans déplacement. Cette solution n’est pas adaptée à toutes les pathologies mais peut être utile ponctuellement.
  2. Amélioration des formations : le développement de stages en milieu rural pour les étudiants en médecine permet de leur faire découvrir ces territoires et d’encourager leur installation future.
  3. Mise en place de gestionnaires de cas : Inspiré de modèles comme ceux du Canada et des États-Unis, le rôle du gestionnaire de cas pourrait être une bonne solution pour améliorer l'accès aux soins dans les zones sous-dotées. Ces professionnels de santé (souvent des infirmiers ou des travailleurs sociaux) aident à coordonner les parcours de soins pour les patients ayant des besoins complexes. Ils organisent les consultations, facilitent les démarches administratives et assurent une continuité de soins, en collaboration avec les autres praticiens. En zones sous-dotées, les gestionnaires de cas permettraient d’optimiser les ressources disponibles et de pallier en partie le manque de médecins en assurant un suivi personnalisé et continu pour chaque patient. En France, ce métier se développe pour le moment principalement dans la prise en charge des personnes âgées.

Les zones sous-dotées en médecins généralistes représentent donc un enjeu crucial pour l’accès aux soins en France. Bien qu’elles soient synonymes de défis pour les médecins, elles offrent également des opportunités, renforcées par les nombreuses aides et incitations. Les politiques publiques déployées ces dernières années et les perspectives d’avenir promettent de réduire ces déserts médicaux, mais cela demande encore un engagement des acteurs locaux, des professionnels de santé, et des autorités.

Pour les médecins envisageant une installation dans ces zones, ces territoires ne sont pas seulement des lieux d’exercice, mais de véritables projets de vie. Ils représentent une occasion de pratiquer une médecine de proximité et d'avoir un impact direct et durable sur la santé et la qualité de vie des habitants.