Quels enjeux et quelles solutions pour une meilleure répartition des orthophonistes en France ?

L’accès aux soins d’orthophonie en France fait face à des défis croissants, en particulier dans les zones rurales et périurbaines. Dans ces territoires, les patients peuvent attendre jusqu'à 3 ans pour avoir un rendez-vous avec un orthophoniste. Et pour cause, selon la FNO (Fédération Nationale des Orthophonistes), 90% des orthophonistes ne prennent plus de nouveaux patients. C'est dans ce contexte que le zonage des orthophonistes a été mis en place pour rééquilibrer l'offre et garantir un accès équitable aux soins. Ce dispositif, régulièrement actualisé pour s’adapter aux besoins des territoires a pour but d’identifier les zones déficitaires et d’offrir des incitations pour attirer les professionnels dans ces zones sous-dotées. Dans cet article, on vous explique les objectifs, les impacts, et les évolutions à venir du zonage des orthophonistes en France.
Pourquoi un zonage pour les orthophonistes ?
La profession d'orthophoniste, essentielle pour le traitement des troubles du langage, de la déglutition ou encore des handicaps cognitifs, connaît une répartition géographique très inégale. Certaines zones, particulièrement les grandes villes comme Paris ou Lyon, attirent un grand nombre de professionnels, tandis que les zones rurales, montagneuses, ou certaines zones périurbaines sont confrontées à une véritable désertification paramédicale.
Ce manque d'accès rapide aux soins orthophoniques a des conséquences graves, notamment pour les populations fragiles. Les enfants, dont les troubles du langage nécessitent une prise en charge précoce, est souvent retardée, tandis que les adultes et les personnes âgées souffrant de troubles cognitifs ou de la déglutition restent sans solution adaptée.
Les Objectifs du zonage des orthophonistes
Une meilleure répartition des professionnels
Le zonage des orthophonistes, mis en place en 2018, vise donc à répondre à ces problématiques en redistribuant les ressources humaines de manière plus équitable sur le territoire national. Deux objectifs principaux guident cette initiative :
- Rééquilibrer la répartition des orthophonistes en France en identifiant les zones à faible densité de professionnels et en y allouant des incitations financières.
- Garantir un accès rapide et efficace aux soins orthophoniques pour tous, en réduisant les délais de prise en charge dans les zones sous-denses.
Depuis sa mise en œuvre, le dispositif a été révisé à plusieurs reprises pour s'adapter aux besoins changeants de la population. En 2023, des ajustements importants ont été apportés pour étendre la couverture des zones sous-denses à 17,5 % de la population, contre 12,8 % auparavant.
Les impacts du zonage des orthophonistes selon les zones
Zones sous-denses : des incitations financières attractives
Les zones sous-denses sont les régions les plus prioritaires dans le cadre du zonage des orthophonistes. Elles regroupent les zones rurales ou périurbaines où le manque d’orthophonistes est criant. Afin d’encourager l’installation de nouveaux professionnels dans ces zones, plusieurs dispositifs ont été mis en place :
- Le contrat d’aide à l’installation (CAI) permet aux orthophonistes libéraux de bénéficier d’une aide financière s'ils s’installent dans une zone sous-dense et s’engagent à y rester pendant au moins cinq ans.
- Le contrat d’aide au maintien (CAM) est destiné aux orthophonistes déjà installés dans ces zones, les incitant à y rester pour garantir la continuité des soins.
Ces mesures ont prouvé leur efficacité. Selon les données communiquées par l’ARS Centre-Val de Loire, la population couverte par ces aides dans cette région est passée de 26,6 % en 2018 à 36,9 % en 2024. Cela permet donc d'améliorer l'accès aux soins dans les zones où la demande est forte.
Zones intermédiaires : un équilibre fragile
Les zones intermédiaires sont celles où la densité d’orthophonistes est correcte, mais pourrait rapidement basculer en sous-densité si un départ de professionnels n’est pas compensé. Ces zones ne bénéficient pas d’incitations spécifiques, mais elles demeurent sous surveillance. Elles sont souvent situées en périphérie des grandes villes ou dans des régions où l'équilibre entre offre et demande est encore satisfaisant.
Zones sur-dotées : la “saturation” du marché
Dans les zones sur-dotées, principalement situées dans les grandes agglomérations, la concentration d'orthophonistes dépasse largement les besoins. Ces zones ne bénéficient d’aucune aide à l’installation pour éviter de saturer encore davantage le marché. Ce phénomène de saturation peut être problématique pour les jeunes diplômés, qui, en l'absence d'incitations pour s'installer ailleurs, se retrouvent en concurrence dans des marchés déjà saturés. C’est pour lutter contre cela, que le zonage des orthophonistes cherche à encourager les installations dans les zones où les besoins sont les plus grands.
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La méthodologie derrière le zonage des orthophonistes
Le rôle clé des Agences Régionales de Santé (ARS)
La mise en œuvre du zonage des orthophonistes repose sur les Agences Régionales de Santé (ARS), qui élaborent chaque année les cartes de zonage en fonction des besoins locaux. En collaboration avec l’UNCAM (Union nationale des Caisses d’Assurance Maladie) et la Fédération Nationale des Orthophonistes (FNO), elles définissent les zones sous-dotées, intermédiaires, et sur-dotées, permettant ainsi une meilleure planification territoriale.
La méthodologie de calcul
Le zonage des orthophonistes repose sur une méthodologie de calcul précise. Les ARS évaluent la densité des orthophonistes dans chaque région, en se basant sur le nombre d'orthophonistes libéraux en équivalent temps plein (ETP), rapporté à la population du bassin de vie ou du pseudo-canton. Cette évaluation est pondérée en fonction de l'âge de la population, car les besoins en soins varient considérablement selon les tranches d'âge :
- 0-2 ans : forte demande en orthophonie pour les troubles du langage précoces.
- 40-59 ans : demande plus modérée, mais existante pour les adultes avec des troubles spécifiques du langage.
- 60-74 ans et plus : recrudescence des besoins avec l'âge, particulièrement pour les troubles cognitifs et les AVC.
En fonction de ces données, les régions sont classées dans différentes catégories : zones sous-denses, zones intermédiaires, zones très dotées et sur-dotées. Ce classement est ensuite utilisé pour déterminer où concentrer les aides financières et incitations à l’installation.
Un zonage en constant changement
Le zonage est révisé régulièrement pour prendre en compte les évolutions démographiques et les nouveaux besoins en soins. La méthodologie de 2018 a été mise à jour en 2023 avec de nouvelles règles pour simplifier le processus de zonage et élargir la portée des zones sous-denses.
Une évolution des pathologies traitées et des besoins
Les pathologies prises en charge évoluent ces dernières années, avec une augmentation des troubles liés au vieillissement de la population et aux troubles neurologiques. Une attention croissante est aussi portée aux troubles de l’apprentissage chez les enfants. Ces changements dans la demande de soins sont pris en compte dans la répartition des professionnels via le zonage.
Les perspectives et changements à venir
L’élargissement du nombre de places dans les écoles d'orthophonie
Pour répondre à la demande croissante en orthophonistes, le gouvernement a décidé d’augmenter le nombre de places dans les écoles d’orthophonie. Entre 2018 et 2022, ce nombre est passé de 850 à 980 places à l'échelle nationale, avec pour objectif d’atteindre 1 200 places d'ici à 2025. Cet élargissement vise à combler le déficit en professionnels, notamment dans les zones sous-denses identifiées par le zonage des orthophonistes.
Cet effort pour former plus de professionnels s’inscrit dans une démarche plus large de soutien à l’installation des jeunes diplômés dans les zones prioritaires. En effet, un nombre croissant d’étudiants est encouragé à réaliser des stages dans ces zones, ce qui permet de les familiariser avec les besoins locaux et de favoriser leur future installation.
A noter également que beaucoup de jeunes diplômés choisissent de s’installer dans les régions où ils ont étudié. Cette tendance explique en partie pourquoi certaines zones avec des centres de formation sont bien dotées en orthophonistes, alors que d'autres, dépourvues de tels centres, sont sous-dotées. La création de nouvelles écoles d’orthophonies dans des territoires en manque d’orthophonistes pourrait donc aussi être une partie de la solution.
Accès direct aux orthophonistes : une avancée majeure
L'une des récentes réformes majeures concerne l'accès direct aux orthophonistes dans certaines structures, notamment les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP). Depuis 2023, les patients peuvent consulter un orthophoniste sans passer par une prescription médicale préalable. Ce changement vise à simplifier et accélérer l'accès aux soins pour des pathologies simples ou préventives. Cette mesure est particulièrement utile dans les zones sous-denses où l’accès aux médecins généralistes peut être limité.
Le télésoin : une solution pour les zones rurales
Le télésoin est une autre innovation instituée par l’avenant 17 de la Convention des orthophonistes Ce dispositif, qui permet la prise en charge à distance des patients par les orthophonistes, s’est généralisé depuis la pandémie de COVID-19. Il est particulièrement adapté aux territoires isolés où l’accès physique à un professionnel peut être compliqué. Le télésoin est désormais remboursé par l'Assurance Maladie ce qui rend les soins plus accessibles à une large population. Cela est particulièrement utile pour des pathologies chroniques qui nécessitent un suivi régulier, ou pour des situations où les déplacements des patients sont limités.
Incitations financières et perspectives à long terme
Le zonage des orthophonistes ne se limite pas à offrir des aides financières ponctuelles. Il fait partie d'une stratégie plus globale visant à garantir la pérennité des soins sur l’ensemble du territoire. Ainsi, le Contrat d’aide à l’installation (CAI) et le Contrat d’aide au maintien (CAM), déjà évoqués, s'accompagnent de nouvelles initiatives pour soutenir l’orthophonie sur le long terme :
- Aide à l'accueil des stagiaires : les orthophonistes qui accueillent un stagiaire à plein temps durant sa formation bénéficient d'une aide financière proportionnelle à la durée du stage. Cela permet non seulement de former les futurs professionnels, mais aussi de créer des liens avec les territoires sous-denses.
- Soutien aux orthophonistes en fin de carrière : les orthophonistes installés dans les zones sous-denses, qui prévoient leur cessation d’activité, bénéficient d’un accompagnement spécifique pour préparer la transition avec un nouveau professionnel. Cela vise à éviter la fermeture des cabinets et la perte de l'offre de soins dans ces zones critiques.
Ces efforts visent à sécuriser la continuité des soins tout en préparant la relève, assurant ainsi la durabilité du dispositif.
Les critiques à l'encontre du zonage des orthophonistes
Le zonage des orthophonistes fait aussi l'objet de plusieurs critiques.
Efficacité limitée des incitations
Certaines critiques pointent le fait que les incitations financières proposées par le zonage ne sont pas toujours suffisantes pour attirer durablement des professionnels dans les zones sous-denses. Les orthophonistes, en particulier les jeunes diplômés, peuvent hésiter à s’installer dans des régions éloignées où l’offre de services est réduite et où les opportunités de collaboration professionnelle sont limitées.
Complexité administrative
Le processus pour bénéficier des aides liées au zonage est parfois perçu comme complexe et chronophage. Cette charge administrative dissuade certains orthophonistes de profiter de ces incitations, limitant ainsi l’efficacité du dispositif.
Une méthodologie perfectible
La méthodologie utilisée pour définir les zones sous-denses ou sur-dotées est également critiquée. Certains professionnels estiment qu'elle ne reflète pas toujours fidèlement les besoins locaux et ne prend pas suffisamment en compte les évolutions rapides des territoires. Un simple départ en retraite peut rapidement déséquilibrer la situation dans certaines petites villes, sans que cela soit immédiatement intégré dans le zonage.
Le zonage des orthophonistes est donc un levier mis en place pour améliorer la répartition des professionnels sur le territoire français. Il permet non seulement d’adresser les inégalités géographiques en matière de soins, mais aussi d’encourager la formation de nouveaux orthophonistes et d'assurer une meilleure couverture des besoins de la population. Les réformes récentes, telles que l’accès direct aux soins ou l’expansion du télésoin, ont pour objectif de renforcer l’efficacité du dispositif et d’offrir des solutions alternatives pour les zones rurales et périurbaines.
Pour autant, le succès du zonage repose aussi sur la formation continue d’une nouvelle génération d’orthophonistes, le maintien des incitations financières et une évaluation régulière des besoins régionaux.
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